L’ontologie du numérique. Entre mimésis et réalité (CFP)
Appels à contribution, Culture numérique.trackback
Dossier Sens public (sens-public.org)
sous la direction de Servanne Monjour, Matteo Treleani et Marcello Vitali-Rosati
Dans sa longue notice (auto)biographique publiée sur Le Tiers livre, François Bon prédit en ces termes la fin de sa vie et l’aboutissement de son Å“uvre :
Évolution progressive et définitive du site Tiers Livre en arborescence d’oeuvre transmedia et préparation d’un verre sphérique inaltérable et indestructible incluant la totalité de cette oeuvre unique.
Déclare dans son dernier billet de blog : “J’aurais pu faire ma vie autrement, mais je n’y avais pas pensé avantâ€. Cependant, la révélation que l’auteur habitait depuis de nombreuses années dans son site Internet provoque un certain émoi et beaucoup de sensation et d’interrogation dans le monde numérique et littéraire.
Non sans humour, l’écrivain souligne la fusion qui s’opère aujourd’hui entre les espaces numérique et non numérique, ou du moins le brouillage constant des frontières entre ce qui relève traditionnellement du « réel » et de l’« imaginaire ». En vérité, ce brouillage n’a rien d’inédit, aussi dirons-nous que le numérique permet de réinvestir certaines problématiques ontologiques qui ont traversé l’histoire de la pensée – en y ajoutant au passage ses propres paradoxes.
D’un côté en effet, la notion de représentation a été largement utilisée pour analyser l’effet de nos écrans numériques, bien que l’on puisse regretter l’aspect restrictif d’une telle approche qui, essentiellement concentrée sur la dimension visuelle des médias numériques, occulte tout ce qui se trouve du côté des pratiques – l’analyse du concept d’interface, proposée par Alexander Galloway permet d’ailleurs d’y remédier (Galloway, 2012). D’un autre côté, le terme « réalité » (augmentée ou virtuelle) n’a cessé d’être convoqué afin de définir le statut des mondes numériques – l’adjectif « virtuel » ayant alors pour fonction d’affirmer une progressive perte de la matérialité du rapport avec l’espace dit réel (Serres 1994, Koepsell 2000, Virilio 1996). Aujourd’hui enfin, de plus en plus de chercheurs s’accordent à dire que nous vivons dans un espace hybride (Beaude 2012, Vitali-Rosati, 2012, Floridi 2014), où les distinctions entre réel et numérique n’ont plus de sens…
Dans ce contexte, les narrations transmédia s’emploient elles aussi à repousser les frontières entre mondes fictionnels et monde(s) réel(s), en s’appuyant notamment l’engagement des spectateurs (Jenkins, 2008). Les produits en réalité augmentée mélangent désormais la vision du monde qui nous entoure avec des éléments ludiques ou issus de la fiction. Le statut de ces nouvelles narrations est complexe : comment qualifier les tweets de Clara Beaudoux dans son Madeleine project, ou ceux de Guillaume Vissac dans Accident de personne ? Comment décrire le projet tentaculaire qui se construit depuis près de 20 ans autour du Général Instin, investissant l’espace web autant que l’espace urbain ? S’agit-il d’écriture documentaire, journalistique ou fictive ? Cette question est-elle encore seulement pertinente ? Quel est le statut de produits comme le jeu Pokemon Go ou les Street view trek proposés par Google ?
Si le brouillage des frontières ontologiques est devenu un caractère constitutif du numérique, il n’en soulève pas moins de nombreuses questions : peut-on véritablement déclarer que les notions de représentation, de réel, ou de virtuel sont définitivement périmées ? Ou faudrait-il, au contraire, réaffirmer leur intérêt et leur pertinence, du moins d’un point de vue heuristique ? Peut-on parler d’une problématique « ontologique » dans la culture numérique ou s’agit-il d’une querelle de mots ?
Ce dossier se conçoit comme un champ d’exploration de ces problématiques, dans une perspective résolument interdisciplinaire, accueillant tout autant la philosophie, l’esthétique, les études littéraires, la sémiologie, la sociologie ou les sciences de l’information et de la communication. Des arts numériques à la littérature hypermédiatique, en passant par les web documentaires et les jeux vidéo, de nombreux domaines permettent en effet d’investiguer ces dichotomies apparemment périlleuses entre représentation et réalité, réel et imaginaire, fiction et documentaire… Parmi les sujets traités, pourront notamment figurer (à titre indicatif) :
-   le rapport entre espace numérique et espace non numérique
-   les récits de soi
-   les créations en réalité virtuelle
-   la réalité augmentée
-   les interactions entre jeux vidéos et monde réel
-   le rôle documentaire des produits numériques (web documentaires, web-séries…)
-   les récits transmédia et l’engagement des publics
-   l’emploi du web sémantique ou des objets à des fins créatives
-   l’actualité du concept de mimesis
-   les enjeux du concept de vérité à l’époque du numérique
Les textes, compris entre 35 000 à 60 000 signes (illustrations bienvenues), doivent être adressés à la rédaction de Sens public (redaction@sens-public.org).
 CALENDRIER :
-Â Â Â 1er juillet : remise des textes
-   31 août : avis d’acceptation
-Â Â Â 1er octobre : publication du dossier
BIBLIOGRAPHIEÂ :
Aristote, Poétique, Paris, Le Livre de Poche, 1990.
Auerbach, Erich, Mimésis : la représentation de la réalité dans la littérature occidentale, Paris, Gallimard, 1977.
Beaude, Boris, Internet. Changer l’espace, changer la société, Limoges, FYP éditions, 2012.
Bolter, Jay-David & Richard Grusin, Remediation. Understanding New Media, Cambridge, Mass., MIT Press, 1999.
Bon, François, Après le livre, Paris, Seuil, 2011.
Bunia, Remigius, « Diegesis and Representation: Beyond the Fictional World, on the Margins of Story and Narrative ». Poetics Today 31, no 4 (1 décembre 2010), p. 679‑720.
Cassou-Nogues, Pierre, Mon zombie et moi. La philosophie comme fiction, Paris, Seuil, 2010.
Floridi, Luciano, The 4th revolution: how the infosphere is reshaping human reality, New York, Oxford, Oxford University Press, 2014.
Fourmentraux, Jean-Paul (dir.), Digital Stories. Art, design et culture transmédia, Paris, Hermann, 2016.
Galloway, Alexander R., The Interface Effect. Cambridge,UK ; Malden MA, Polity, 2012.
Jenkins, Henry, Convergence Culture: Where Old and New Media Collide, New York, NYU Press, 2008.
Koepsell, David R., The Ontology of Cyberspace: Philosophy, Law, and the Future of Intellectual Property, Chicago, Il, Open Court Publishing, 2003.
Larsonneur, Claire, Arnaud Regnauld, Pierre Cassou-Nogues, Sara Touiza, Le sujet digital, Dijo, Presses du réel, 2015.
Lavocat, François, Fait et fiction: pour une frontière, Paris, Seuil, 2016.
Lévy, Pierre, Qu’est-ce que le virtuel ?, Paris, La découverte, 1998.
Manovich, Lev, The Language of New Media, Cambridge, Mass., MIT Press, 2001.
Monjour, Servanne, Marcello Vitali-Rosati et Gérard Wormser, « Le fait littéraire au temps du numérique. Pour une ontologie de l’imaginaire », Sens Public, décembre 2016.
Orlando, Francesco, Les objets désuets dans l’imagination littéraire, Paris, Classiques Garnier, 2013.
Platon, La République, Paris, Flammarion, 2002.
Rodionoff, Anolga, Les territoires saisis par le virtuel, Rennes, PUR, 2012.
Ruffel, Lionel, Brouhaha, les mondes du contemporain, Lagrasse, Verdier, 2016.
Serres, Michel, Atlas. le Grand livre du mois, Paris, Flammarion, 1994.
Sartre, Jean-Paul, L’imaginaire, Paris, Gallimard, 1940.
Vitali-Rosati, Marcello, « What Is Editorialization ? » Sens Public, 4 janvier 2016.
Virilio, Paul, Cybermonde, la politique du pire, Paris, Textuel, 2010.
Vial, Stéphane, L’être et l’écran, Paris, PUF, 2013.
Commentaires
Commentaires fermés pour ce billet